GRISAILLE : TROIS AUTOPORTRAITS

Pièces lauréates du Concours Ateliers d’Art de France 2022, région Ile-de-France, catégorie patrimoine.

Cette technique d’émaillage en noir et blanc, « en lumière », est complexe, elle a été élaborée au 16ème siècle par les émailleurs de Limoges. Elle est travaillée uniquement en France mais très peu utilisée car chronophage, perdue pour la plupart des artisans, souvent considérée comme vieillote par le public. Elle fonctionne sur un contraste affirmé voire exagéré entre lumière et ombre, elle incarne l’art du clair-obscur. 

Je souhaitais retrouver l’intimité des portraits à la bougie de Georges de la Tour, une ambiance douce et chaude, dans un monde ancien qui ne nous appartient plus. La grisaille est extraordinaire car elle peut offrir un rendu quasi photographique, mais aussi une ambiance fantomatique, fascinante voire dérangeante. Elle place immédiatement son sujet dans un autre univers, une autre époque, une autre histoire, elle n’est pas de ce monde.

J’ai pris le parti de me faire photographier dans l’obscurité, à la seule lumière d’une ampoule ocre à filaments, sous différents angles. Une fois ces modèles photographiques en main et un miroir en poche, je suis passée au travail d’atelier. J’ai tamisé un fond d’émail sombre en plusieurs couches sur des disques de cuivre bombés d’une quinzaine de centimètres de diamètre. Après cinq couches et cuissons de violet foncé et de noir, j’ai travaillé exclusivement au blanc de Limoges. 

Ce blanc n’est pas une peinture mais bel et bien un émail broyé très finement, que l’on mélange à un medium gras. A l’aide d’une aiguille de couturière plantée dans un tourillon de bois, chaque grain d’émail – qui se présente sous la forme d’un sable très fin – est déplacé afin de créer des pics de lumière. Moins on appose de blanc, plus le fond noir ressort et les ombres et nuances de gris émergent par transparence, plus on charge de blanc et plus les volumes mis en lumière ressortent. Ces pics de blanc sont perceptibles au toucher. Si l’émail grisaille est assimilé à la technique de l’émail peint, on pourrait plus logiquement parler d’émail en bas relief, puisqu’il s’agit de créer des volumes plus ou moins conséquents de blanc, comme une sorte de sculpture. Le blanc de Limoges est capricieux, il ne supporte pas les surépaisseurs et demande à être cuit entre chaque couche fine, soit pour chaque portrait environ vingt feux de blanc à 780°C. 

Dompter le blanc certes, mais observer, chercher l’éclat, la vie et l’âme à travers l’apparence physique et plastique ; l’autoportrait est un exercice sensible.